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Michel Pleau

dans la basse ville
quand on marche dans les rues
toujours quelques pas nous précèdent

on ne se demande plus que faire de cette présence
elle est là tout simplement

la nuit dans Saint-Sauveur
on aperçoit la maison inquiète
que chacun construit
à côté de soi

c’est que nous habitons rarement
la vraie demeure
nous vivons dans son image

nous ouvrons
des portes brûlées
et des fenêtres d’immenses fatigues

même le temps ne s’y reconnait plus

ici on lance des pierres
dans son propre cœur
on bâtit d’étranges châteaux

on jette aussi son ombre
très loin derrière soi
comme au sommet de l’oubli

nous ignorons même jusqu’à notre âge
en ce lieu on appelle cela
l’horizon et la disparition

on aime imaginer
au-dessus du Parc Durocher
la petite étoile problématique
de Saint-Denys-Garneau

la nuit la haute ville se penche
sur l’épaule de la basse ville
il arrive qu’elle façonne l’ombre
du Complexe G

au même moment
à la taverne Jos Dion
on remet la lumière en ordre
on effleure la fourrure des définitions

la rue Saint-Vallier alors
est une longue phrase amoureuse

et voici une maison transparente
on entre à l’intérieur
par le souvenir d’une clef

peut-être s’agit-il d’approcher le monde
en renversant son cœur
et en faire l’inventaire

souvent on nomme mémoire
le visage d’une statue
mais que maîtrisons-nous vraiment
dans la forme secrète des miroirs

il existe dit-on
une clarté plus proche de nous
on voudrait l’habiter
et la traverser de bord en bord
pour devenir les vraies fenêtres
où se préparent les paysages

dehors les hommes sont inquiets
et protègent l’ombre de leur maison

on ne sait pas à l’intérieur de nous
voir plus loin
sous la nuit
le monde tombe et continue sa descente

nous n’en finissons jamais d’approcher
l’envers de chaque chose
et l’appel fugitif de l’aube

au-dessus des galeries
nous traçons des cordes à linge
qui n’appartiennent à personne
et un soleil derrière le soleil

il reviendra dans quelques heures
quand le silence ne sera plus un objet renversé
mais une autre écoute

nous n’en savons pas plus long
que l’ombre d’un arbre
qui travaille tout le jour
à faire le tour d’une cour
avant de revenir vers lui-même

nous avons le cœur taillé par la basse ville

dans le reflet de nos mains
une main secrète et exacte
retourne le monde

chez nous
le regard est une maison bien fragile

nous rêvons dans les pas des autres
nous sommes fous du tremblement tout simple
sur nos paumes d’une mésange
qui nous redonne le ciel

on regarde le vent devenir lui-même
le monde n’est jamais plus complet

dans les derniers mots
d’un poème que nous écrivons
toutes les flammes
et toutes les respirations

il n’y a pas de honte
à dénouer le feu d’une rose
ou celui d’un long chagrin

il n’y a pas de honte
à n’être parfois qu’une sculpture abandonnée
attendant que l’on achève ses mains
qui vont déchirer la nuit

rien de mieux
pour tenir la basse ville ensemble
que le temps qui traverse
l’étrange châssis du monde

la nuit on parle encore sur les perrons
on écoute la télégraphie des pas derrière les portes

peut-être n’avons-nous jamais quitté
la cour des récréations
où la lumière des lampadaires
est encore une bonne élève

nous sommes plus seuls
qu’une balançoire
nous ne savons pas encore notre propre alphabet

nous connaissons tous les jours de la semaine
les récitons par cœur depuis l’enfance
et dans le bon ordre

ici on redécouvre le ciel au fond des larmes
depuis longtemps il a cessé d’être
le prolongement des branches

nous sommes nombreux
appuyés contre le paysage
dispersé de fenêtres en fenêtres
nous les voyons travailler lentement
au fond de chacune
une femme s’ennuie

la nuit est un fragment
de toutes les villes

on ne sait plus où construire
la vaste maison du cœur
où sommeillent de nombreuses voix

ici
nous sommes d’un côté du monde
nous avons choisi notre camp