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Hada López

Des oiseaux nous réveillent de leurs chants mélodieux cachés dans les frondaisons qui nous entourent.

Par les ouvertures qui font foi de fenêtres dans les parois concaves de la maison, nos regards devinent un vrai petit jardin. Notre chambre est orientée vers le levant.

Nous observons, couchés dans nos hamacs, l’avancée en douceur d’une lumière montante de rose et de dorée, elle dévoile les ramures des arbres familiers.

Les racines aériennes de ces jardins fleuris, orchidées et épiphytes variés, se balancent au rythme d’une faible brise. Une myriade de papillons de toutes les formes et couleurs y trouvent refuge. Le doux mouvement des hamacs nous apaise et finalement nous retombons endormis, pour quelques minutes de plus.

Tôt ce matin-là, nous découvrons les larmes d’étoile déposées sur la végétation et nous savons que la journée sera chaude et humide; les fines gouttelettes de rosée ont eu à peine le temps de scintiller à la lumière naissante du soleil qu’elles s’évaporent déjà.
 

Le ciel, les nuages et le soleil
mon monde, le tien, le nôtre
entre les deux la mer qui miroite

 

Après le déjeuner, Marie, notre fille, se berce énergiquement dans son hamac. Elle s’est donné le défi de monter de plus en plus haut pour aller voir de plus près, sur une branche voisine, la couleuvre dévoreuse de souris. En ce moment, le reptile bouge et ondule avec la grâce et la douceur d’une ballerine au fur et à mesure qu’il délaisse son ancienne peau toute fripée et défraîchie. Soudain, une torpille verte fend l’air sous nos yeux et se perd parmi les feuillages d’un haut buisson non loin de notre maison.

La curiosité enfantine gagne notre chère Marie. Elle saute et le mouvement de balancier du hamac la projette loin vers l’avant. Elle est encore trop jeune pour comprendre, mais nous emmagasinons toute cette énergie pour le bon fonctionnement de notre environnement.

Ma femme et moi la suivons de près, nous découvrons un très beau spectacle. De façon inusitée, elle garde le silence au lieu de crier d’excitation comme à son habitude. C’est vrai que la petite famille est belle : deux minuscules gemmes étrennent leurs ailes tandis que la mère, toute fière, s’est perchée non loin d’eux entre deux becquées. Les oiseaux s’envolent et entourent notre fille. Elle a l’air d’une fée avec ces trois colibris qui scintillent autour d’elle, la couronnant de pirouettes. Son rire joyeux fait écho au bourdonnement des ailes déchaînées qui frôlent ses joues.

Les oiseaux partis, elle s’éloigne en chantonnant et en sautillant pour aller se baigner dans le ruisseau formé par les dernières pluies. Elle interrompt sa baignade et reste ébahie devant les volées de perroquets qui passent dans un vacarme assourdissant. Je la vois courir ensuite parmi d’immenses papillons bleus, grands comme une main d’homme. Elle saute pour les attraper, mais ils lui échappent et reviennent vers elle dans un volettement gracile comme s’ils s’amusaient à la déjouer.

Maintenant elle joue à l’ombre du manguier avec Emmanuel, le fils de nos voisins immédiats. C’est rassurant de les savoir complices comme nous, leurs parents, l’avons toujours été. C’est vivifiant de les entendre inventer des histoires uniques; ils sont tantôt des chevaliers, tantôt des pirates. Elle joue la princesse et lui, le méchant dragon. Ils inversent les rôles, leur grabuge attire les autres enfants du voisinage; Charles arrive en trombe, suivent Étienne et les jumelles. Mon cœur s’emplit de joie et de tendresse. Marie est ma raison de vivre, elle est heureuse, elle est en sécurité. Je vais continuer à veiller pour que cela reste ainsi. Depuis des décennies, nous le faisons tous au village.

Il y a trois générations, mon arrière-grand-père et ses deux grands amis ont commencé leur réflexion sur l’avenir de leur descendance. C’est grâce à eux si nous vivons aujourd’hui dans cette ville idéale. Entourés de beauté et de sérénité.

Blanche montagne enneigée
filet d’eau rivière devenu
plaine verdoyante et nourricière

 

Ils ont débuté leurs recherches à un moment charnière, avant que notre monde ne commence à étouffer. Avant que les glaciers fondent et que le niveau des mers monte. Nos amis et voisins, moi, ainsi que nos grands-parents et parents avant nous, avons continué leur travail. Maintenant nos professions ont des noms composés; moi, en biogénétique forestière, la mère d’Emmanuel en bio intelligence artificielle et le père de Charles en génome humain appliqué. Mais à la genèse de ce projet, nos précurseurs portaient le nom de biologiste, mathématicien et chimiste.

Leur prémisse « le monde autour de nous se portait bien avant l’ère industrielle, la dérive de cette industrialisation cause la destruction du monde autour de nous, alors, revenons le plus possible vers ce monde d’avant »; leur intention : retrouver ce bien-être pour le monde en appliquant leurs connaissances.

Parois rocheuses protectrices
étendue côtière réparatrice
être humain rapiécé

Ainsi, au fil des ans, en nous relayant et en combinant notre savoir, grands-parents, parents, petits enfants et moi avons commencé à faire des expériences. Nous avons construit des circuits, des systèmes de communication, à produire des matériaux, des systèmes de gestion de ressources et d’énergie. À chaque échec, à chaque erreur nous redoublions d’efforts, nous réévaluions nos hypothèses de travail. Petit à petit, le monde scientifique a reconnu et apprécié notre travail. Notre groupe a obtenu des ressources monétaires, humaines et matérielles. Ceci nous a permis de trouver le lieu propice et construire notre village expérimental, notre ville idéale.


Vert, jaune, rouge des arbres majestueux
feuilles oblongues, palmées ou lancéolées
pardon aux essences sacrifiées

 

Voici la clef de notre succès, nous avions découvert, entre autres, que les arbres communiquent entre eux soit par les racines ou par des hormones libérées à travers leurs feuilles. Je ne peux dévoiler ni les procédés ni les moyens utilisés dans nos démarches scientifiques, c’est ultra-secret. Mais je peux par contre vous dire que nous avons réussi à entrer en contact avec les arbres dans différentes niches écologiques.

Nous leur avons fait savoir que nous souhaitions mettre en commun notre savoir et notre technologie avec leur grande évolution, le tout pour sauver notre peau et leur écorce. Nous leur avons expliqué notre intention d’enfin revivre en harmonie… et ils nous ont fait confiance.

C’est ainsi que nous avons puintégrer des puces intelligentes dans les arbres. Ils nous ont communiqué des données extrêmement précieuses sur les composants de leurs faisceaux lignifiés. Nous avons réussi ainsi à adapter leur ADN pour que les nouvelles pousses, les nouvelles branches, soient capables de prendre la forme de structures habitables pour nous les hommes. Depuis, nous n’avons plus rasé deforêts pour construire nos maisons. Nous utilisons l’énergie solaire et éolienne.

De plus, le fait de vivre dans les arbres et avec les arbres a contribué à diminuer la violence. Nous vivons en symbiose. Alors, nos actions et nos émotions influencent l’état de nos hôtes, les arbres et donc de notre logis. Au début, nous ne connaissions pas très bien tout ceci, alors quand l’un d’entre nous se mettait en colère en se cognant le coude au bord d’une table, toutes les feuilles d’une section de son arbre tombaient. Et que dire si l’un des enfants piquait une crise, les arbres se mettaient tous à osciller ou à trembler selon l’intensité des cris, nous faisant tous tomber sur notre derrière.

Petit à petit, nous avons appris à contrôler nos pulsions, à changer nos agissements. Grâce aux arbres, nous avons réussi à établir la communication avec les fleurs, les champignons, les oiseaux, les insectes et j’en passe. Maintenant, après presque un siècle de collaboration, une société nouvelle a commencé à prendre forme. Plus rien n’est gaspillé, plus rien ne traîne après consommation, rien ne se perd, tout est récupéré, comme dans la nature.

Les êtres humains n’ont jamais été voués à la destruction. Ils sont prédisposés à apprécier le beau. L’espoir reste entier, d’autres villages comme le nôtre sont en train de bourgeonner en peu partout sur terre.


Coassement d’une grenouille,
Le cerf sauvage brame, le condor s’envole
Pointe le renouveau