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Valérie Forgues

Ville avalée à la hache
traîne harnachée des cœurs à cheval
sol moulu par les murailles*
mets-toi à plat   déplie la carte des montagnes hautes
des vivants fiers jonchés sur tes gratte-ciel

Ville envisagée dans le saccage
paysage agité de champs
de battements d’ailes sur nos peaux
tu es l’ombre animale reflétée
reliée dans tes langueurs
tes ralentis sur le lustré des toits

Ville du silence du futur
cité de chatons en veille sur les branches
de tours cuirassées
ville apparemment
tes mains tiennent des lacs au creux

Ville des mots couronnés
cité au souvenir des parterres infinis
cité chaude flambée de fleuve
une chanson douce la corde se resserre sur ta géographie
cité divisée en tranchées étanches
mes bras se ferment sur toi
Cité gorge groupe immense grand ouvert
cité livre d’enfant où les châteaux mûrissent
tu connais le nom de tes insectes de tes oiseaux
tu t’ouvres  tu flottes comme une cape
sur l’acier de tes temples

Ville conservée spécimen à la loupe
quelques rayons familiers
lourds de beauté battent la chamade
dissolvent le vert de mon cœur
dans la ville nous n’avons pas peur

Avis d’ébullition dans la boîte minuscule
le pouvoir de préserver le blanc
les plans de la ville avant qu’ils ne s’effacent
sauve-toi   emporte le volant des rideaux
regarde et ne regrette rien de la joie
des tornades qui ont pignon sur rue

Ville nous soulevons tes espaces en friche
les paysages léchés par tes yeux
un feuillage brille amouraché
tes angles engendrent des rivières
plongent sur les côtes boueuses d’une terre absoute
et d’autres lieux surmontés pleins de volières

Ville découpée éclairée loin du bleu
nous t’enveloppons    tout n’est pas rongé
tes rues filent le long de forêts brutes
tu pulses   veloutée à l’abri
lentement tu réapparais   le monde est intact
lentement tu appelles ce que l’écriture écorche

Cité éventrée en sa nature
tes lèvres embrassent nos chevilles
la partie nouée de l’abîme
tu peux marcher grandir grossir
t’engloutir sous les racines au coin
dans les convois stridents du soir

Cité hurlée des hiboux
il n’y a aucun danger
que tes forces que tes rêves à bord
il y a tous tes espoirs
il y a des quartiers d’agitation et d’appels sans feuillages
des enfants costauds des cailloux plein les poches
la tête qui tourne   six sept ans

Sois ce poumon qui respire
qui renfloue les trous dans le couchant
devant derrière l’envie d’embrasser ta puissance
de fouler ta hanche ronde de ville traversée courue nagée
quel feu d’enfer crépite au fond des ruelles

Ta musique viendrait du mouvement entre les corps
de ceux qui te marchent
sur la place tête inatteignable cheveux sur la nuque
la paix le calme les paumes accueillantes
de ceux qui marchent   ton visage d’île
tant d’ombres et d’éclats ensemble

Cité intérieure   ta mémoire restaurée
tes épaules offertes aux jours égratignés
à l’abandon au regard de tes forces
tu t’endors au son d’une chanson des années 50

Tu as le pas léger   le ventre luminaire
les quartiers flamboyants   les rues lâchées comme des bêtes
tes yeux sont libres de tout royaume

Ville sans crainte aux mains des bombes
ville d’amour luxuriante et natale
les rêves des autres s’y plient
j’y suis en chute libre
seule aux tombes familières des grandes banlieues
ton histoire au bord de l’enroulement
marcher hantée d’un bout à l’autre de toi

On nous raconte ton cordage
cerclé près de la mer
celui d’autres cités baroques
miraculeusement souples
je marche martelant les fronts dans d’heureuses neiges

Femme-cheval et animaux fantastiques
arrivent à ta porte
ce que nous n’avons pas su garder
pousse à présent dans tes entrailles
c’est une hélice une voix fêlée une faille
je t’aime où l’air vacille

Ville reconnue des contours comme des sentiers
entière lavée de l’intérieur
on n’y laisse plus mourir tes enfants
on s’y regarde dans les yeux
et ta fatigue blanche erre sur mes épaules

Repère quand tu t’abandonnes
tu laisses tes hommes s’aimer
s’emparer de ta terre plombée
d’espoirs aux visions superposées
le paradis qu’on s’arrache
fait écho à chaque coins de la carte
à l’étoile du nord

Ville forêt   ton toit sur nos têtes
ta géographie contient toutes les cuirasses
tu parles d’avant   de bisons   de plumes
tu cherches la sève dans les bottes des absents
des yeux qui te parlerait encore

Cité légère en pleine gueule à pleins poumons
tu remontes le cours à la hauteur de toutes soifs
peut-être les formes sifflées jusqu’à donner
de nouvelles arrêtes au grand poisson
la beauté a ta gorge
à ce qu’on dit

Ville ta tête libre sur la douceur envoutée
tu embellis le brillant aux espoirs
gardés en ce qui nous traverse
tu es calme dans l’avalé de tous les mondes
tu débarques en équilibre là où on veut
je marche maintenant dans la cité
le parallèle s’élève nos volutes comme langage
ville parfaitement huilée   je resterai à l’orée
me mêlerai au groupe
me lancerai pour ta résistance  je ferai un pas
je m’installerai

 

*les vers en italiques sont de Marie Uguay